Le 6 mars 2025, j’ai soutenu ma thèse de doctorat à l’Université de Lausanne, sous la direction d’Olivier Lugon. Intitulée Les espaces de la parole et de la projection. Les conférences d’artistes aux États-Unis des années 1930 aux années 1970, cette recherche porte sur un phénomène encore largement méconnu : l’essor de ces prises de parole artistiques, en lien avec le développement des pratiques de la diapositive. Un sujet qui, par sa nature éphémère, a laissé très peu de traces dans les archives — ce qui a constitué l’un des défis majeurs de cette enquête.

Entre les années 1930 et 1970, dans un contexte social, économique et politique particulier, les États-Unis sont devenus un terrain favorable à l’émergence des conférences d’artistes. À travers l’étude de plus de cinquante fonds d’archives, j’ai examiné comment des artistes se sont approprié cette forme issue du milieu universitaire pour partager publiquement leurs idées, ainsi que la manière dont cette pratique a évolué au fil du XXe siècle. J’ai également analysé son institutionnalisation progressive, depuis les écoles d’art jusqu’aux musées, universités, clubs d’artistes et studios, en mettant en lumière le rôle central de la diapositive — d’abord sur plaque de verre, puis sur film 35 mm — dans ce processus.

Au-delà des discours et des images projetées, je me suis intéressée aux espaces et infrastructures qui ont rendu ces événements possibles. En adoptant une approche microscopique, j’ai étudié l’organisation concrète de ces présentations dans des lieux parfois prestigieux, en dévoilant les coulisses de la « grande histoire ». J’ai également exploré la manière dont ces cadres matériels, avec leurs spécificités techniques et sociales, ont façonné les relations entre la parole et l’image projetée. Ces environnements ont permis aux artistes de s’approprier la conférence avec diapositives en en faisant une pratique singulière, souvent éloignée des normes académiques.

Ma thèse retrace cette histoire à travers l’étude de cinq espaces emblématiques de l’art et du design aux États-Unis, principalement à New York, mais aussi ailleurs. Ces lieux – l’auditorium du Museum of Modern Art, le campus du Black Mountain College, le club d’artistes Artists’ Club à travers le cas des projections d’Ad Reinhardt, le bureau des designers Charles et Ray Eames, et l’amphithéâtre de la School of Visual Arts – illustrent la diversité des espaces où se déroulent ces pratiques, allant de l’institution éducative et culturelle aux espaces privés de travail et de sociabilité, tout en offrant une riche documentation sur l’usage des diapositives.

Cette recherche interroge la conférence d’artiste comme une pratique à part entière, façonnée par des contextes sociaux, techniques et institutionnels spécifiques. Elle invite à considérer ces interventions non seulement comme des prises de parole individuelles, mais comme des événements collectifs inscrits dans un contexte plus vaste, où se croise l’histoire de l’oralité, de l’art, de la photographie, des collections visuelles et des infrastructures éducatives et muséales. 

Je suis heureuse de partager aujourd’hui les résultats de ce travail de longue haleine, qui met en lumière les liens complexes entre artistes, publics, images projetées et espaces de transmission — et qui propose de reconsidérer la place des conférences dans l’histoire des formes artistiques et pédagogiques.